Ca et là, on avait du creuser de nouvelles tranchées de défenses aux endroits où la pluie de ces dernières heures avait malmené le terrain. Faute d’effectifs suffisants, la plupart des soldats de la Garde Elfique s’étaient mués en main-d’œuvre du génie et en gestionnaires des approvisionnements. Tout manquait dans ce camp de fortune ; pour autant le Lord Commandant n’avait voulu prendre aucun risque. « Ne relâchez votre attention sous aucun prétexte. Ce sont une poignée de trappeurs introduits subrepticement dans le Temple qui ont permis d’ouvrir la voie au reste de la Horde. Nous pourrions nous aussi être exterminés en un rien de temps. » Et le Lord Commandant d’avoir ajouté toute une série d’interdictions, dont celles de ne pas installer de confort sur place tant que le sous-effectif militaire régnerait.
Des renforts étaient arrivés petit à petit, mais enfin, cela avait eu l’air d’être terriblement insuffisant aux yeux de Lord Nastën. « Plus d’hommes sous ma bannière et je rendrai ce camp salubre », l’avait-on entendu promettre.
Les jours avaient passé, apportant leurs nouvelles épées et leurs flots d’averses.
Et puis, un matin, l’arrivée d’un petit groupe d’individus marqua un profond changement dans la conduite du campement. Ils s’étaient présentés devant les sentinelles d’une manière tout aussi ordinaires que l’avaient fait avant eux ceux de la Compagnie du Poing d’Acier, les fidèles du dépecé Dieu Basilic, ou encore, pas plus tard qu’hier, ces pêcheurs en armes, harassés par leur long voyage, et dont les tenues rudimentaires sentaient aussi fort le poisson que leurs filets.
« Encore des renforts ? »
Il y avait dans la voix de l’elfe de faction une intonation soupirée. On devinait facilement qu’il ne savait lui-même s’il devait se réjouir de voir la cause elfique ainsi soutenue par des humains, ou bien, dans le même temps, s’il devait se désoler de voir si peu d’humains venir à la rescousse de Lunarën.
« Le Peuple du Vent mené par Valdien répond à l’appel aux armes du peuple elfique. »
Celui qui fit cette réponse était un grand homme pâle, élancé, au visage marqué de tatouages tribaux. Il était habillé de vêtements faits de tissus léger auxquels étaient accrochés des plumes, des os et des renforts de cuirs. A sa ceinture pendait un fourreau qui renfermait une épée fine au pommeau soigneusement ouvragé.
Ils furent naturellement conduits auprès du Lord Commandant. C’était la règle pour toute nouvelle recrue. « Les orcs sont brutaux, mais point stupides. Ils savent parfois se faire des alliés qui ne sont pas de leur race. Tout le monde ici demeure suspect tant que je ne l’ai pas observé par moi-même. » Voilà ce que répétait Lord Nastën ; voilà les précautions que prenaient ses hommes.
Les renforts du jour étaient menés par ce Valdien, homme de grande taille aux yeux gris-clairs et aux cheveux longs, quoique d’une blancheur neigeuse malgré son jeune âge. A la question « que demandez-vous en échange de votre aide ? », le meneur pointa du doigt le Temple de Lunarën et expliqua qu’il ne désirait pas voir ces orcs se répandre davantage sur les terres paisibles de Valamyä. « Il est de notre devoir à tous de nous porter à leur rencontre et d’en finir avec eux. Pour avoir appris l’Histoire des terribles conflits qui sont secoué jadis l’Ile-Montagne, je puis jurer que je ne veux pas que de telles atrocités se reproduisent sur ces terres. Actuellement, les orcs sont concentrés au même endroit. A nous l’audace, et nous les exterminerons tous ! »
Tandis que Valdien pérorait pour mieux convaincre son interlocuteur de ses bonnes intentions, le Lord Commandant eut l’occasion d’apercevoir un griffon tatoué sur le poignet du jeune humain. Il reconnut aussitôt le symbole arboré par ces nomades discrets qui se faisaient appeler le Peuple du Vent. On ne leur connaissait ni patrie ni terre d’origine. Des récits d’exploits accompagnaient leurs pas, et c’était leurs voyages qui avaient forgé leur propre légende ; les elfes parlaient d’eux, les autres humains les admiraient souvent ; même les nains de l’Ile-Montagne connaissaient leurs réputation. Les orcs eux-mêmes, disait-on, craignaient le Peuple du Vent et leur subtil art de la guerre. Ils avaient le goût de l’aventure, des secrets bien gardés, beaucoup de voyages sans destination, et un passé glorieux dans lequel leurs ancêtres s’étaient jadis illustrés face aux serviteurs du Dragon. Ils avaient en outre leur franc-parler, et des manières de langage bien à eux. Libre comme l’air était l’une de leurs mille devises, au même titre que Combattre jusqu’au dernier souffle, La tête dans les nuages, et bien d’autres paroles faisant honneur aux mots du vent. Ils étaient rêveurs et guerriers, idéalistes et intrépides, doux et puissants, vifs, véloces, insaisissables, fiers, et un peu insolents aussi. Somme toute, ils étaient à l’image du Vent qu’ils vénéraient tant.
Lorsque le Lord Commandant les reconnut, ses yeux se mirent à briller d’excitation. L’elfe afficha une moue impressionnée :
« Tawën ?
– Monseigneur ?
– Rassemble le conseil de guerre. Désormais, nous pourront attaquer d’ici trois jours. »